"Autrefois, tout concourait à maintenir les conjoints ensemble : la pression sociale (les contraintes des mariages religieux et civil, la difficulté voire l’impossibilité tant juridique qu’éthique de divorcer), la pression morale (le devoir, le péché, la réputation), le statut inférieur de la femme (sa soumission, son manque de revenus personnels). Quant à être heureux, on faisait comme on pouvait ! De toute façon, compte tenu de l’irréversibilité de la situation, il fallait bien s’évertuer à trouver des accords, voire des arrangements.
Ce qui - seul point positif de la contrainte - obligeait à faire des efforts, au lieu de renoncer trop tôt et de se séparer trop vite, comme beaucoup le font actuellement. En outre, la notion de devoir et de vertu en donnant un sens à l’effort, pouvait procurer des bonheurs d’âme.
De nos jours, durer est plus difficile, toutes les contraintes étant levées : le divorce est facilité, les pressions religieuses et sociales sont moindres, et les femmes ont presque les mêmes droits et les mêmes revenus que les hommes. Alors, qu’est ce qui peut bien faire qu’une femme et un homme puissent s’unir et demeurer ensemble ? Le sentiment d’amour et le désir ? L’un et l’autre peuvent s’user. Les intérêts matériels communs, les habitudes, ces piètres raisons ne peuvent assurer un couple de qualité. Les enfants ? « Se sacrifier » pour eux et prolonger un couple dont les conjoints se déchirent ne semble pas être une option favorable à l’épanouissement de chacun. Il faut donc, pour vivre à deux, trouver d’autres relais, un autre sens.
Etre heureux ensemble est, de nos jours, la raison première et la priorité des couples. Mais c’est toujours aussi problématique, les difficultés inhérentes à la nature humaine s’ajoutant à celles de la civilisation actuelle ; il n’y a même plus d’obligation de trouver des solutions, puisque, quand le duo ne va plus, il est facile de changer de partenaire. Il est ainsi possible d’aller de partenaire en partenaire, sans jamais, comprendre ce qu’est l’amour et sans découvrir les secrets de la vie à deux.
La source de l’amour, c’est l’amour de soi et, par extension, l’amour de la vie. Qu’est ce que s’aimer ? C’est d’abord être bien dans son corps, le connaître, l’accepter et l’aimer tel qu’il est, le respecter, et en prendre soin. C’est aussi être bien dans sa tête, se connaître, s’accepter en totalité - sa part d’ombre comme sa part de lumière - et, viser à développer ses dons et à réaliser ses aspirations.
Le « connais-toi toi même » de Socrate demeure une injonction fondamentale pour l’être humain. Le fait de nous connaître nous permet de choisir ce qui est bon pour nous : les êtres avec qui nous serons en harmonie et avec qui nous pourrons progresser, les actions dans lesquelles s’épanouiront nos aspirations et nos dons. Cela devrait aussi nous permettre d’éviter ce qui est mauvais pour nous : les êtres et les actions néfastes.
Aimer, ce n’est pas seulement ressentir un sentiment, c’est se comporter avec amour, c’est passer de l’état amoureux au don d’amour, c’est s’engager dans un perfectionnement continu de soi-même et aider l’autre à révéler le meilleur de lui-même, c’est dépasser les limites de son ego, s’élargir, grandir, s’élever et contribuer à l’élévation de l’autre.
Aimer, c’est alors se relier à quelque chose d’intense et porteur de sens, quelque chose qui transcende - lumineuse légèreté ? part divine ? quelque chose que l’on ne peut que sentir, car ici les mots glissent, les mots manquent. Quelque chose que seul le silence nomme."

L’écologie de l’amour - Docteur Gérard Leleu