Les affinités électives
L’amour s’impose comme une évidence. Et pourtant, que d’interrogations !
Pourquoi lui, pourquoi elle ?
Quelle force nous pousse irrésistiblement vers une personne bien précise, alors que des personnes qui pourraient sembler comparables au premier abord nous laisseront indifférents ?
Dans Les Affinités Electives, Goethe raconte l’histoire de deux couples qui vont se défaire, une attirance irrésistible poussant deux des personnages à quitter leur conjoint respectif. Un nouveau couple se crée, s’imposant de lui-même. Il est basé sur la passion amoureuse, alors que les deux couples d’origine étaient ce que l’on appelle des « mariages de raison » - en réalité, la grande majorité des unions à l’époque de Goethe.
Tout le roman est basé sur un parallèle entre l’amour et la chimie : l’attirance amoureuse est identique à la force qui crée les liaisons chimiques entre les atomes. Ainsi, un corps chimique peut être stable, mais quand on le met en contact avec un autre élément pour lequel il a des affinités, la réaction est inévitable.
Pour Goethe, l’attirance amoureuse est également basée sur des affinités. Dans le langage courant, le mot « affinité » est souvent synonyme de point commun, de ressemblance : « j’ai des affinités avec telle ou telle personne. ». Mais en matière d’amour, parler de « points communs » ne rend compte que très grossièrement de cette idée. Par exemple, si j’aime les randonnées en montagne, cela ne suffit pas à me rendre amoureux de toutes les personnes qui aiment aussi les randonnées en montagne ! Ces affinités que décrit Goethe sont beaucoup plus subtiles, plus profondes, plus mystérieuses. En réalité, on ne peut pas y accéder, elles nous échappent ; elles dépassent notre entendement, car elles ne peuvent pas être appréhendées par notre rationalité. C’est pourquoi notre question de départ « pourquoi lui, pourquoi elle ? » ne trouve pas de réponse. C’est aussi pourquoi les recherches de partenaire par points communs, loisirs ou autres activités sur les sites de rencontre ne fonctionnent pas. Si j’aime le yoga, il est tout à fait possible que la personne qui me fera chavirer pratique l’escalade…. Parce que les affinités sont bien plus profondes, bien plus fondamentales que ces points communs apparents.
Ces affinités sont électives car elles choisissent, elles élisent une personne unique qui nous correspond : l’élu(e) de notre cœur. Là encore, tout se passe indépendamment de notre volonté : nul besoin de bulletin de vote pour que cet élu règne sur notre cœur !
Cette vision chimiste de l’amour chez Goethe doit être replacée dans son contexte historique : au XIX siècle, les récentes découvertes sur les propriétés de la matière fascinaient les esprits. Cependant, nous pouvons garder cette image en mémoire, car elle correspond réellement au vécu amoureux.
D’une part, elle illustre la force avec laquelle l’amour s’impose à nous. Tout comme il est impossible d’empêcher la réaction chimique de se produire, il est impossible de lutter contre ses sentiments, dès lors que l’on est tombé amoureux.
D’autre part, cette attirance est bien précise et bien déterminée : une seule et unique personne en est l’objet, tout comme un corps chimique donné réagira en présence d’un élément bien précis.
Enfin, cette image évoque le caractère fatal du choix amoureux : même quand les circonstances sont contraires (chez Goethe, les deux mariages existants), l’attirance se produit, indifférente aux difficultés qu’elle va faire surgir. L’image antique de l’Amour aux yeux bandés, tirant ses flèches sur des personnes choisies au hasard, entre en résonance avec cette idée d’arbitraire.
Juliette Marchal .
Et vous ? Que vous évoque cette image ? Avez-vous aussi déjà ressenti ces affinités électives ?
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